Dossier - La clause de réserve de propriété

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Nous abordons dans ce dossier les principaux mécanismes de cette clause qui permet aux fournisseurs de se réserver la propriété des marchandises qu’ils livrent à leurs clients tant que ces marchandises n’ont pas été intégralement réglées.

 

RÉDACTION DE LA CLAUSE

Biens matériels et immatériels

La clause de réserve de propriété peut concerner tous les « biens », sans distinction ni entre les biens corporels (marchandise, matériel, outillage) et incorporels (marque, par exemple) ni entre les biens mobiliers et immobiliers.

Exemples : Logiciels et progiciels.

Un vendeur de matériel informatique revendique des logiciels et progiciels vendus sous réserve de propriété et demeurés impayés. Le client prétend que cette action est impossible dès lors qu’elle ne porte pas sur des biens matériels. Cette prétention est repoussée : une revendication peut porter sur des logiciels et progiciels, biens incorporels dont le support est un bien corporel. Terrain et bâtiment industriel.

Si l’acquéreur ne règle pas immédiatement la totalité du prix, l’acte peut inclure une clause de réserve de propriété. Cette clause peut ainsi prévoir que le transfert de propriété devra faire l’objet d’un nouvel acte et résultera du paiement intégral du prix.

Une exception : les marchandises seront transformées par l’acheteur.

La transformation des marchandises par le client anéantit les effets de la clause. Dès lors qu’elles n’existent plus « en nature » chez le client, les marchandises ne peuvent plus être récupérées (c. com. art. L. 624-16 al. 2). Il est ainsi inutile de revendiquer des fils devenus tissu.

En revanche, la revendication reste possible si des tissus n’ont fait l’objet que d’une opération de teinture. La mention suivant laquelle, par exemple, « l’acheteur est en droit de disposer de la mar-chandise… notre réserve de propriété s’étend aux produits transformés » est à déconseiller formellement. En cas de défaillance de l’acheteur, une telle stipulation ne fait que confirmer la non-identification des produits. Elle rend, par conséquent, inefficace la clause de réserve de propriété.

Exemples : Alevins devenus poissons. Un fournisseur avait vendu des alevins de daurade royale. Le fait que ceux-ci aient pris du poids et se soient retrouvés sous forme de daurades au jour de l'ouverture de la procédure collective n'empêche pas leur revendication (cass. com. 11 juin 2014, n° 13-14844).

Récolte viticole. Une coopérative a pour objet la vinification et la vente de la récolte de ses adhérents. Elle est mise en liquidation et les adhérents revendiquent leurs stocks conservés par la coopérative. Leurs demandes sont jugées recevables : l’incorporation des moûts les uns aux autres et le processus d’évolution et de vinification des récoltes n’ont pas transformé leur substance, si bien que les stocks revendiqués se trouvent encore en nature (cass. com. 11 juillet 2006, n° 05-13103).

Une difficulté : le matériel vendu sera incorporé dans un autre bien.

Lorsque le bien vendu doit être incorporé dans un autre bien mobilier, sa revendication est possible si la séparation de ces biens peut être effectuée sans qu’ils en subissent un dommage (c. com. art. L. 624-16, al. 3).

C'est au revendiquant d'établir que la séparation des biens vendus, incorporés dans un autre bien, peut s'effectuer sans dommage.

Exemples : Matériaux intégrés dans un plafond.

Le vendeur impayé ne peut récupérer des « profils porteurs » en aluminium destinés à soutenir les dalles d’un faux plafond. Certes, le démontage de ces profils serait matériellement réalisable, mais il impliquerait la dépose des dalles et ferait disparaître le faux plafond. Ces profils font partie d’un ensemble solidaire et indissociable (CA Paris, 3e ch. B, 30 avril 1993).

 

Matériel intégré dans une chaîne de montage.

Un vendeur ne peut invoquer la clause de réserve de propriété pour récupérer des pinces de robots de soudage qui ne lui ont pas été réglées. En effet, ces pinces ont été spécialement fabriquées pour être intégrées dans une chaîne de montage de voitures (cass. com. 6 juillet 1993).

 

Matériels fixés au sol.

Le vendeur impayé peut invoquer la clause de réserve de propriété et revendiquer la rotative qu’il a vendue. Peu importe que l’acheteur l’ait fixée au sol par un ensemble de boulonnerie et ait bétonné cet ensemble par endroits. La rotative n’est pas indissociable de son support en béton (cass. com. 12 février 1991).

 

Élément incorporé dans une machine - outil.

Suite à la liquidation judiciaire d’une entreprise, un vendeur revendique un dispositif mécanique incorporé dans une machine-outil. Cette demande est acceptée par les juges. Certes, le démontage du dispositif ne permet plus le fonctionnement de la machine-outil, mais il suffit de le remplacer par un autre dispositif du même type pour que la machine fonctionne à nouveau. Par ailleurs, ce démontage n’endommagera pas la machine car il suffit de débrancher le système hydraulique et de retirer six fixations (CA Rouen, 2e ch., 20 septembre 2007)

 

Clause convenue au plus tard à la livraison

Modèle de clause et signature du client

La clause doit avoir été convenue entre les parties dans un écrit établi au plus tard au moment de la livraison. En réalité, la jurisprudence n’a pas toujours exigé que l’accord du client ait été donné par écrit, mais, eu égard aux fréquentes contestations soulevées sur ce point, la solution la plus sûre consiste à inscrire la clause en caractères gras, au recto d’un document contractuel (généralement, le bon de commande) qui sera signé par le client.

 

Mention de la clause sur les factures

La seule mention de la clause de réserve de propriété sur les factures est le plus souvent inopérante puisque celles-ci sont reçues par l’acheteur après la livraison. Toutefois, dans la vente au laissé-sur-place, la circonstance que certaines factures soient manuscrites et comportent le cachet de l’acheteur suffit à démontrer qu’elles ont été établies au moment de la livraison.

• Recto des factures 

L’efficacité d’une clause de réserve de propriété portée, de façon lisible, sur le recto des confirmations de commandes et des factures a été admise. Les juges ont retenu que l’acheteur avait tacitement accepté cette clause dès lors qu’il avait reçu, sans protestation, ces documents envoyés concomitamment aux livraisons de marchandises (CA Paris, 3e ch. A, 11 janvier 2000).

• Clause en bas de page :

En revanche, les juges n’ont pas fait jouer une clause de réserve de propriété qui figurait sur une facture à la suite de la liste des marchandises vendues, en bas de page et sans rien qui attire l’attention sur elle (CA Versailles, 13e ch., 20 janvier 2000)

 

La question du bon de livraison

 

La clause de réserve de propriété peut être inscrite sur le verso (non signé) des bons de livraison (cass. com. 17 mars 1998). Encore faut-il être sûr que l’acheteur a eu connaissance de la clause. Ainsi, un vendeur n’a pu récupérer son bien car la clause était rédigée avec les mêmes petits caractères que les autres stipulations : « le seul trait qui la souligne ne suffisant pas à appeler l’attention du lecteur dans les conditions de rapidité exigées par l’accomplissement des opérations commerciales » (cass. com. 11 juillet 1995).

 

 

Conseils pratiques

 

En cas de livraisons successives

 

Si le vendeur a des relations d’affaires régulières avec son acheteur, il n’est pas tenu de reproduire la clause de réserve de propriété pour chaque vente. Elle peut être inscrite, une fois pour toutes, dans un contrat cadre signé par les deux parties sans que le vendeur ait besoin de la rappeler par la suite.

 

 

Le refus du client

 

L’acheteur peut rédiger des conditions générales d’achat et y insérer une clause par laquelle il s’oppose d’emblée à toute application d’une éventuelle clause de réserve de propriété. Cette clause ne pourra s’avérer efficace que si les conditions générales d’achat sont, d’une manière ou d’une autre, acceptées par le fournisseur ; après cette acceptation, le fournisseur n’a pas fait accepter à l’acheteur la clause de réserve de propriété (par exemple, en l’insérant de façon apparente sur le bon de livraison).

 

Que l’acheteur ait, ou non, adopté des conditions générales d’achat, il peut refuser la clause de réserve de propriété en la rayant des bons de commande et de livraison (et en paraphant ses ratures en marge).

 

Si le fournisseur le livre néanmoins, c’est qu’il aura accepté d’abandonner la clause de réserve de propriété.

 

 

L’identification des marchandises

 

Références des marchandises vendues

 

La marchandise vendue avec réserve de propriété doit pouvoir être distinguée du reste du stock détenu par le client. Le vendeur doit donc compléter une clause en identifiant très précisément les marchandises vendues : article, modèle, année, numéro de série, couleur, prix… Il reportera ensuite ces références sur sa facture. À défaut, la clause n’aurait aucune efficacité lors d’une revendication du vendeur (cass. com. 28 avril 1998, n° 95-18768).

 

• Identification insuffisante

 

Une société vend – avec réserve de propriété – des vidéocassettes et des disques compacts à une entreprise qui est, par la suite, mise en redressement judiciaire. Un inventaire du stock de cette entreprise est dressé. N’étant pas réglée, la société demande la restitution des marchandises qu’elle a vendues. Cette demande est rejetée : les vidéocassettes et les disques compacts inventoriés comportent une étiquette indiquant un numéro de code ; or, la société n’a pas pris la peine de mentionner sur les bons de commande et les factures les numéros de code. Il est donc impossible de prouver que les marchandises vendues sont celles retrouvées dans le stock (cass. com. 14 avril 1992, n° 90-14896).

 

• Fournisseur exclusif

 

Un commerçant achète plusieurs matériels à son fournisseur exclusif. Celui-ci prend soin de prévoir une clause de réserve de propriété pour récupérer les appareils s’il n’est pas réglé dans le délai convenu. Le matériel reste impayé et l’acheteur dépose son bilan. Les juges interdisent néanmoins au fournisseur de récupérer les biens vendus car les factures ne sont pas assez précises : elles ne permettent pas d’identifier le matériel dans le stock de l’acheteur. C’est en vain que le vendeur a fait valoir, auprès des juges, qu’il était le fournisseur exclusif de ce commerçant (cass. com. 23 octobre 1990, n° 89-13486). Dans cette affaire, le vendeur avait ajouté à sa clause : « l’acheteur doit prendre toutes précautions pour permettre l’identification des marchandises et, à défaut, toute marchandise en stock sera présumée soumise à la clause de réserve de propriété ». Une telle clause est ino-pérante. Il revient au vendeur de faire tout le nécessaire pour identifier les marchandises.

 

 

Publication du contrat

 

Les créanciers bénéficiant d’une réserve de propriété peuvent faire publier leur contrat sur un registre ouvert au tribunal de commerce. Cette publicité doit faciliter la restitution des marchandises si le débiteur fait l’objet d’une procédure collective. En effet, le propriétaire d’un bien est dispensé de faire reconnaître son droit de propriété lorsque le contrat portant sur ce bien a fait l’objet d’une publicité (c. com. art. L. 624-10). Pour être efficace, la publication du contrat doit être antérieure au jugement d’ouverture de la procédure collective (c. com. art. R. 624-15, al. 2).

 

 

Vol des marchandises et assurance

 

 

Puisque le vendeur reste propriétaire des marchandises jusqu’au paiement de leur prix, c’est lui qui subira la perte si elles sont détruites (par incendie, notamment) ou volées chez le client : celui-ci n’aura pas à lui régler le prix. C’est seulement si les biens disparaissent par la faute de l’acheteur que le vendeur pourra revendiquer le prix. Mais le vendeur et l’acheteur peuvent convenir par écrit que la responsabilité incombera toujours à ce dernier dès la livraison. L’acquéreur supportera alors les charges de l’assurance. En cas de perte ou de destruction, le vendeur pourra recevoir la partie de l’indemnité d’assurance correspondant à ses marchandises détruites (cass. com. 22 avril 1997, n° 93-10114).

 

 

La clause, instrument de crédit

 

Si le vendeur transmet la créance qu’il a sur son client, cette « subrogation conventionnelle a pour effet d’investir le subrogé non seulement de la créance primitive, mais aussi de tous les avantages et accessoires de celle-ci ; il en est ainsi de la réserve de propriété assortissant la créance du prix de vente et affectée à son service exclusif pour en garantir le paiement » (cass. com. 15 mars 1988, nos 86-16691 et 85-18623).

 

Ainsi, lorsqu'un fournisseur vend avec réserve de propriété et cède ensuite sa créance sur le client à une banque, celle-ci bénéficie alors de la clause de réserve de propriété. La banque disposant ainsi d’une sécurité, ce type de crédit s’en trouve facilité.

 

 

Revendication des marchandises

 

 

Procédure collective

 

Le vendeur sous réserve de propriété peut espérer être payé malgré l’ouverture d’une procédure collective à l’encontre de son client.

 

Ce paiement peut en effet avoir lieu sur décision du juge-commissaire lorsqu’il estime que le bien vendu sous réserve de propriété est nécessaire à l’entreprise sous sauvegarde ou en redressement.

 

Le juge-commissaire peut également demander au vendeur d’accepter des délais de paiement.

 

Attention, si le vendeur accepte et si l’entreprise ne peut finalement honorer son engagement, le vendeur risque de ne pas être payé : son règlement n’interviendra qu’après le paiement d’autres créances, et notamment celles des salariés (c. com. art. L. 624-16 dernier al.).

 

 

Le délai à respecter

 

 

Lorsqu’une procédure collective est ouverte à l’encontre d’un de ses clients, le vendeur, qui bénéficie d’une clause de réserve de propriété, a 3 mois à partir de la publication du jugement d’ouverture pour réclamer la restitution de ses marchandises ; il s’agit plus précisément de la publication au BODACC (cass. com. 3 avril 2001, n° 98-11169). Cette règle est valable même si le bien revendiqué fait l'objet d'un contrat en cours.

 

CCI Info N°152 - Mai 2017

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